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Chroniques
Clara Iannotta
pièces pour quatuor à cordes
Captées en janvier 2020 puis éditées par WERGO, le label discographique des éditions musicales Schott de Mayence, nous découvrons quatre pages pour quatuor à cordes écrites par la Romaine Clara Iannotta entre 2013 et 2020. La première d’entre elles, a failed entertainment, fut créée à Berlin le 10 novembre 2013, par le Quatuor Diotima. Le titre emprunte à l’écrivain étasunien David Foster Wallace (1962-2008) dont un des romans, Infinite Jest (1996), traduit en français par Francis Kerline (L’infinie comédie, Éditions de l'Olivier, 2015) devait d’abord s’appeler ainsi. « Après avoir lu ce livre, précise la compositrice, j’ai cessé de concevoir la forme uniquement comme une boîte contenant mes objets sonores pour la considérer comme un espace qui modèle son contenu ; pour construire cet espace, les notes ne me suffisaient plus, j’étais obligée d’avoir recours aux bruits » (citée par Theresa Beyer dans sa notice du CD). Ainsi, en sus des seize cordes attendues qui déjà offrent de nombreux modes de jeu, sont convoqués blocs de polystyrène, appeaux et clochette de table. S’ensuit un enrichissement textural sensible qui surprend par l’invention d’un souffle quasiment vocal prolongeant des attaques drues.
Les trois autres œuvres inscrites à ce programme ont pour même source le journal de bord de l’océanographe suisse Jacques Piccard (1922-2008). En 1960, pionnier des descentes à plus de dix mille mètres de profondeur, ce dernier observait dans l’obscurité des abysses la lente mobilité d’êtres vivants encore insoupçonnés. Cette vie cachée dans l’opacité du fond des mers fascine Iannotta. L’élaboration de sons nouveaux passe, là encore, par celle d’une lutherie inédite. Outre l’électronique, la compositrice – à l’instar du Pisan Filidei, de dix ans son aîné – invite toutes sortes d’objets vibrants dont certains n’étaient, à leur naissance, pas destinés à le devenir. Écouter sa musique, et particulièrement ses opus quartettistes, c’est entrer dans des « cabinets de curiosités sonores très différents » (Beyer, encore).
Dédicacé à Joséphine Markovits, patronne du Festival d’Automne à Paris, le commanditaire de l’œuvre, dead wasps in the jam-jar III prend appui sur le mode d’ornementation d’un mouvement de la Partita en si mineur BWV 1002 de Bach. Il s’agit du troisième volet d’un cycle commencé en 2014 par un solo de violon d’environ trois minutes (dead wasps in the jam-jar I), continué deux ans plus tard avec une pièce pour orchestre de chambre et électronique (dead wasps in the jam-jar II), développée sur douze minutes. Le titre emprunte un vers de la poétesse irlandaise Dorothy Molloy (1942-2004) dont Mother’s kitchen a stimulé l’imagination sonore de la musicienne. Conçu pour quatuor à cordes et ondes sinusoïdales préenregistrées, dead wasps in the jam-jar III appareille les instruments avec des trombones à papier qui non seulement modifient le son mais imposent un jeu particulier. La tension souterraine qui la caractérise fascine l’écoute, au fil de deux sections dont se répondent les mystères, enfouis plus certainement encore sous l’échappée d’une brève coda d’harmoniques.
En 2019, Clara Iannotta poursuit ce travail et la réflexion qui l’investit avec earthing – dead wasps (oblituary). « …l’araignée se débarrasse de sa peau et laisse une enveloppe vide. Tout d’un coup, il y a là deux corps, un vide et un plein, et, par conséquent, deux temporalités. […] J’ai composé un quatuor à cordes qui mue à plusieurs reprises pendant qu’il est joué », explique-t-elle (idem). À l’aide d’un transducteur électroacoustique, le résultat de la transformation de quelques séquences du matériau est implanté dans la caisse des quatre instruments. La succession de courts chapitres, vues fragmentaires plutôt qu’épisodes complets, déjoue tout repère à la faveur d’une immersion positivement invasive. Commandé par le JACK Quartet, l’interprète de ce CD, avec le soutien de l’Ernst von Siemens Musikstiftung, you crawl over seas of granite pour quatuor à cordes amplifié (2019-2020) est dédicacé à « Austin, Chris, Jay et John », soit les violonistes Christopher Otto et Austin Wulliman, l’altiste John Pickford et le violoncelliste Jay Campbell, ses créateurs – Ultraschall Festival de Berlin, le 16 janvier 2020. En baissant considérablement l’accord des cordes (scordatura), la compositrice mettait les quartettistes au défi de contrôler la justesse ; ainsi cet opus relève-t-il de l’utopie. Il surprend par son long cours et une couleur fauve, insaisissable.
BB